Nous jouons avec le feu et la biodiversité depuis la Préhistoire

Publié par Bourgogne-Franche-Comté Nature, le 8 mars 2022   1.1k

Autrefois fréquent et participant à la dynamique des écosystèmes, le feu représente aujourd’hui une menace qui s’accroît avec le changement climatique et notre occupation de l’espace.

Pourquoi le feu est-il complexe à étudier ?

L’échelle temporelle associée aux notions de régime de feu* et de temps de retour de feu* implique des études sur des dizaines ou centaines d’années au minimum. Il est indispensable de recourir à des reconstructions historiques et paléoenvironnementales (environnements du passé) qui seules peuvent fournir des enregistrements et donc analyses des phénomènes sur la longue durée. Un feu émet des gaz (qui se mélangent dans l’atmosphère), des cendres (qui se dissolvent) et des charbons de bois (stables dans le temps s’ils se déposent dans des endroits où ils sont préservés des dégradations mécaniques : tourbières, fond de lacs, glaciers…). Ces charbons sont recherchés dans des carottages de terre ou de glace, leur quantité étant représentative de la quantité de feux. Plus les particules de charbon sont fines, plus elles peuvent venir de loin. Le choix de l’emplacement du prélèvement est stratégique : une tourbière en forêt nous racontera l’histoire du lieu et de ses environs immédiats, les sédiments d’un lac des sommets corses offrira un aperçu de l’histoire des feux sur toute l’île, une carotte de glace au Groenland capte quant à elle les feux du Canada, de la Scandinavie et de la Russie réunis.

L’Homme est-il responsable des dynamiques de feu ?

Oui, il en est désormais le principal déclencheur. Il y a 9 000 à 7 000 ans, les conditions climatiques et de couverture forestière en Europe et Méditerranée étaient propices aux feux naturels (déclenchés par la foudre), qui étaient courant.

Puis les conditions ont changé et les feux naturels se sont espacés, mais depuis la Préhistoire, les sociétés ont utilisé le feu pour conquérir et aménager les espaces forestiers. Il en a résulté une forte augmentation de la fréquence des feux. Aujourd’hui, en Europe, près de 90 % des feux sont d’origine humaine (plus de 50 % dans le monde), et très largement d’origine accidentelle (barbecue, feu non maîtrisé, chute d’une ligne électrique, cigarette, débris de verre créant un effet loupe…).

Le feu est-il bon ou mauvais pour la biodiversité ?

Les conséquences dépendent du régime de feu* et donc du contexte. Le feu peut consumer la biomasse à des degrés divers, affecter ou non les sols (érosion), promouvoir ou limiter certaines espèces. Il peut être aussi source de biodiversité lorsque la perturbation est en phase avec le fonctionnement de l’écosystème. Il est alors facteur de « rajeunissement » et de dynamisme en favorisant par exemple les espèces de lumière ou en participant aux processus de reproduction et de germination de certaines plantes comme les pins. Selon un principe universel, il ne faut ni trop peu, ni pas assez de feux. Si la fréquence est adaptée, dans un laps de temps plus ou moins long, le système reviendra à son état initial ou du moins poursuivra une évolution sans dégradation. Si la fréquence augmente ou diminue trop, les espèces ne sont plus adaptées et la situation postfeu sera inévitablement différente, dégradée et possiblement non durable.


Le mot de l’expert

Boris VANNIÈRE, Paléoenvironnementaliste, Directeur de Recherche au CNRS, Maison des Sciences de l’Homme et de l’Environnement, Laboratoire Chrono-Environnement, Université de Bourgogne Franche-Comté

Que retenir pour les feux de demain ?

L’augmentation à venir des températures et des sécheresses combinée à une pression socio-économique sans précédent sur les territoires implique une très forte probabilité d’occurrence des feux et possiblement de grands feux à fort impact sur les infrastructures et nos ressources. Il est urgent de revoir nos modes de gestions et d’appropriation des territoires. On peut vivre avec le feu si on lui accorde la place nécessaire. Autrefois, nos espaces de vie étaient entourés d’espaces agricoles et pastoraux, l’espace "sauvage" restant à distance. Maintenant, tout est imbriqué, ce qui augmente notre vulnérabilité. Revenir à des modes d’exploitation raisonnés et à des pratiques traditionnelles qui utilisent le feu régulier pour entretenir les paysages permettrait de limiter la probabilité d’occurrence d’événements catastrophiques. Les éco- et agrosystèmes seraient alors plus résilients.


Pour en savoir plus

Découvrez 2 sites web (en anglais) : https://paleofire.org, géré par la Maison des Sciences de l’Homme et de l’Environnement et l’International Paleofire Network, présentant une base de données des archives sédimentaires de feu avec plus de 1 000 enregistrements mondiaux remontant à plusieurs milliers d’années. https://www.globalfiredata.org, qui recense la récurrence des feux actuels, les surfaces brûlées et les quantités de gaz émises.

 Mini glossaire

Régime de feu : activité des feux dans une région, caractérisée par les superficies brûlées, la fréquence, l’intensité…
Temps de retour de feu : période sans feu entre deux événements au même endroit.


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Crédit illustration ©Gilles Macagno