Durabilité(s)

Publié par Journal en direct, le 19 juin 2025   1

Préserver les ressources offertes par la Terre, les utiliser de façon respectueuse et responsable, construire une société viable pour les générations futures, favoriser la justice sociale : la durabilité établit des liens étroits entre processus environnementaux, économiques et sociaux.
Petit tour d’horizon d’un terme-clé de notre époque…

Des matières et des hommes

Le lin, matière millénaire pour des matériaux d’avenir

Photo Annette Meyer – Pixabay

Le lin est l’une des premières plantes à avoir été cultivée par l’homme. Les plus anciennes traces de fibres torsadées et teintées, datant de plus de 30 000 ans et découvertes dans une grotte en Géorgie, seraient apparentées à du lin. Des graines de la plante, mises au jour au cœur du Croissant fertile, sont attestées à plus de 10 000 ans. Depuis ces lointaines origines, l’histoire de l’humanité est truffée de références à l’emploi des fibres et des graines issues du lin, qui se positionne aujourd’hui comme un matériau durable, et toujours à usages multiples.

Les graines de lin, transformées en huile pour la consommation humaine et animale, proviennent d’une variété à tiges de 30 à 40 cm de hauteur, dont les pailles sont laissées sur pied, souvent brûlées au sol. Dans un projet financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR) et débuté en janvier dernier, des chercheurs de l’Institut FEMTO-ST étudient la possibilité de valoriser les pailles issues de la production de lin oléagineux, pour la fabrication de matériaux composites.

Recours à une ressource renouvelable, valorisation de déchets, limitation de l’émission de gaz à effet de serre : c’est à plus d’un titre que l’idée s’inscrit dans une démarche de durabilité.

Photo Annette Meyer – Pixabay

« Le projet TREC intervient dans un contexte de demande de fibres végétales pour le textile en forte augmentation, qui a vu les prix du lin tripler sur le marché mondial en cinq ans », raconte Vincent Placet, pilote du projet à FEMTO-ST. « Les fibres extraites des pailles du lin oléagineux sont d’un coût largement inférieur et les résidus de production sont essentiellement utilisés pour des applications à faible valeur ajoutée, comme le paillage ou l’isolation. » D’où l’intention d’ajouter le lin oléagineux à la gamme des matières naturelles utilisables pour des applications techniques, et notamment la mise au point de matériaux composites, un fer de lance des recherches menées au département Mécanique appliquée.

L’objectif poursuivi par les chercheurs impliqués dans le projet est d’améliorer la résistance mécanique des fibres, directement impactée par les défauts qui peuvent apparaître dans la structure du lin lors des différentes étapes de culture et de transformation de la plante. La caractérisation de ces défauts et la modélisation qui permet d’en prévoir l’évolution font partie des spécialités de l’équipe FEMTO-ST.

Franck Barske de Pixabay

Leurs collaborateurs étudient, quant à eux, les conditions de culture de la plante et de son exploitation. « En Franche-Comté, où les exploitations sont modestes, la volonté est d’optimiser la qualité de la production en utilisant des moyens traditionnels pour la culture et les opérations de transformation de la plante. »

C’est avec cette sensibilité aux réalités économiques que les chercheurs, au-delà des intérêts techniques et scientifiques qui sont les leurs, participent activement à la structuration d’une filière régionale autour du lin, comme ils le font également pour le chanvre.

Retrouvez Du bois dans les machines et Des bâtiments pleins d’énergie : ici.


Plantes, arbres et coopérations en tous genres

Un vaccin pour les plantes ?

Les plantes savent se défendre ! Sous la menace, il se déclenche chez elles une suite d’événements biochimiques qui activent leur résistance. Pour lutter contre un ravageur par exemple, certaines de leurs molécules défensives retardent la progression de l’agent pathogène dans leurs tissus, d’autres exercent sur lui une fonction antimicrobienne.

Photo Freepik

La connaissance des mécanismes biochimiques prévalant chez les plantes, qui s’est remarquablement développée au cours de soixante années de recherches à travers le monde, a permis de mettre au point des molécules capables de renforcer les défenses innées des végétaux. Ces produits commerciaux, élaborés à base de substances naturelles comme le chitosane ou l’algue brune, bien connus en agriculture biologique, agissent comme un « vaccin » : en exposant les plantes à des virus, bactéries ou champignons pathogènes, ils stimulent leur « système immunitaire » pour qu’il soit plus prompt à réagir et se montre plus efficace en cas de nouvelle agression.

« Car les plantes, non seulement savent se défendre par elles-mêmes, mais en gardent aussi la mémoire » : ce constat fascinant a guidé toute la recherche en biologie moléculaire de Brigitte Mauch-Mani1. « Ce qu’on appelle « la résistance induite » des plantes se développe au plus proche de ce que la nature ferait. Son intérêt est validé scientifiquement, confirmé dans les essais réalisés pour l’agriculture, mais son utilisation reste encore marginale », rapporte la biologiste, pour qui cette stratégie apparaît essentielle à la transition vers une protection des cultures et un approvisionnement alimentaire véritablement durables.

Drazen Zigic - Freepik

« Cependant, le besoin est urgent d’une meilleure communication entre la recherche, axée sur la découverte, et les autres parties prenantes, qui possèdent l’expertise nécessaire pour traduire les découvertes en applications. »

Brigitte Mauch-Mani expose aussi les limites de la stratégie, qui, si elle permet de réduire de façon notable l’emploi de pesticides, ne saurait s’y substituer totalement. « La résistance induite n’est pas une solution à tous les problèmes. Elle doit être envisagée en combinaison avec d’autres méthodes, comme la lutte intégrée, qui a recours de façon raisonnée à la chimie de synthèse. »

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La résistance induite fait la preuve de son efficacité en plein champ, sur différentes productions comme le blé, le maïs ou la tomate ; la Suède l’a adoptée pour prémunir les pommes de terre des ravageurs.

Outre son efficacité pour protéger les cultures, elle joue un rôle bénéfique sur la qualité nutritionnelle des aliments. Les recherches autour de cette stratégie se poursuivent pour toujours mieux comprendre les mécanismes impliqués dans la résistance des plantes. Elles s’orientent aujourd’hui notamment vers les apports de l’épigénétique, qui étudie l’impact de facteurs environnementaux sur l’expression des gènes.

1Aujourd’hui professeure honoraire de l’uni­versité de Neuchâtel, Brigitte Mauch-Mani est l’autrice principale d’un dossier édité par la prestigieuse revue Frontiers in Science en octobre 2024, auquel ont participé d’autres spécialistes à l’international, et qui établit le bilan des recherches menées sur les dernières décennies autour de la résistance induite des plantes.

Retrouvez La milpa, un modèle d’agriculture durable fondé sur les interactions entre plantes et La forêt, tout un écosystème et Enseignements d’un lointain passé : ici.

Faire société aujourd’hui et pour demain

Responsabilité sociétale et environnementale des entreprises

Grandes stratégies politiques et économiques, législations comptables et financières, capacités d’action des entreprises : c’est en considérant tous ces niveaux que Fabrice Spada, spécialiste en finances et management d’entreprise, intervenant à la Haute Ecole de gestion Arc, estime qu’il est nécessaire de questionner la durabilité : « Il est possible, et souhaitable, de distiller de la durabilité de la plus grande à la plus petite des échelles ».

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La responsabilité sociétale et environnementale des entreprises (RSE) est l’un des maillons de cette chaîne potentiellement apte à se montrer plus vertueuse. La RSE a, dès 2001, fait l’objet d’une première loi en France, mais n’apparaît que depuis janvier 2023 dans les textes en Suisse. « Si on ne cadre pas la loi de façon précise, on risque de rester dans le flou, avec des bilans et déclarations d’intention qui servent l’image de l’entreprise plutôt que l’environnement. À l’inverse, si les exigences sont excessives, elles deviennent difficiles à mettre en œuvre et peuvent constituer un frein pour la performance. »

En Suisse, qui n’en est qu’aux débuts législatifs sur la question, certaines entreprises auraient tendance à se placer dans la première catégorie et à pratiquer le greenwashing, comme d’ailleurs bien d’autres avant elles. En Europe, l’étau législatif se resserre autour de la RSE, avec une loi obligeant depuis le 1er janvier 2024 les grandes entreprises à recenser pas moins de 1 200 indicateurs pour établir leur rapport de durabilité. « C’est un travail énorme, engageant des pratiques complexes et des compétences dont ne disposent pas forcément les entreprises. Le temps pris pour cette tâche peut impacter négativement leur compétitivité face à leurs concurrentes en Chine ou aux USA », estime Fabrice Spada. Un paramètre crucial en ces temps de bouleversement des équilibres économiques mondiaux.

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Ainsi, alors que les contextes évoluent en permanence, que des retours en arrière sont possibles à coups de dérèglementations, comment ne pas se soucier de la durabilité de la démarche de RSE elle-même ? En Suisse où tout reste à faire, en Europe où on cherche à établir des liens entre deux législations indépendantes, la finance d’un côté, la RSE de l’autre, instiller des éléments de responsabilité sociétale directement dans le droit de la comptabilité est une voie que privilégient certains experts, comme Fabrice Spada. « Il s’agit de mettre en place des méthodes pratiques, d’autant qu’il est prévu qu’avant la fin de la décennie, les PME européennes appliquent elles aussi les règles sur la RSE. »

Une volonté d’aller vers une simplification des démarches, et vers l’action.
Une proposition est par exemple de créer une « réserve légale », prélevée sur les fonds de l’entreprise, pour financer des actions concrètes en faveur de l’environnement. « Intégrer la RSE dans le droit de la comptabilité signifie une remise en cause complète du système actuel, mais c’est sans doute une bonne solution pour que les entreprises puissent anticiper plutôt que subir les bouleversements attendus des changements climatiques et environnementaux. »

Retrouvez L’équilibre est dans le donut et Agir sur des territoires à plusieurs dimensions : ici.

Dossier paru dans le Journal en direct n°318.

Photo début d'article : Freepik