Une sociologie des champs pour transformer l’agriculture
Publié par Bourgogne-Franche-Comté Nature, le 19 mai 2025
Entre 2019 et 2022, le projet de recherche TRANSFORM a visé à identifier les freins et leviers à la transformation des mondes agricoles, notamment grâce à des entretiens sociologiques.
En quoi a consisté votre étude de cas ?
Elle portait sur la préservation de la qualité de la ressource en eau sur une communauté d’agglomération de Bourgogne-Franche-Comté confrontée à une pollution chronique de l’eau par les nitrates d’origine agricole et par la présence de résidus de pesticides. Des entretiens ont notamment été conduits auprès d’exploitants agricoles. Certains d’entre eux sont en agriculture conventionnelle, d’autres ont changé de pratiques soit pour de l’agriculture biologique, donc sans apports de pesticides ni engrais chimiques, soit pour de l’agriculture dite de « conservation des sols », c’est-à-dire sans pratique du labour. Ces deux derniers types d’agricultures ont une logique commune de préservation de l’environnement, mais diffèrent quant aux moyens mis en place.
Quelle place occupe la mauvaise herbe dans les discours recueillis ?
Le rapport aux champs de tous les agriculteurs fait apparaître une rhétorique du propre et du sale, un champ « propre » étant dénué de « mauvaises herbes ». Une esthétique des cultures est à l’œuvre. Elle joue sur la façon de se percevoir entre pairs. La compétence, voire la morale de l’agriculteur, est jugée à partir de l’observation de ses champs. La présence de mauvaises herbes agit comme une sorte de stigmate. Elle est vue comme un manque de professionnalisme. La qualification négative des mauvaises herbes repose sur plusieurs aspects : leur caractère indésirée dans le champ, le fait qu’elles puissent être en compétition avec les plantes cultivées et leur côté récalcitrant.
Qu’en déduire pour qu’une évolution des pratiques soit possible ?
Il est nécessaire de modifier la vision de la mauvaise herbe. D’ailleurs, sur le plan du vocabulaire, les agronomes parlent eux d’« adventice », un terme qui n’est pas empreint de valeur péjorative. Le changement se fait toujours à l’aune de ce qui est considéré comme la norme professionnelle. Or la figure de l’agriculteur moderne construite au sortir de la 2nde Guerre Mondiale valorise non plus l’autonomie et la polyculture, mais le technicien capable de produire en maîtrisant la nature. La mauvaise herbe arrive ainsi comme un indice d’une incapacité à maîtriser. On se rend aussi compte que la supposée opposition entre conventionnels et bio n’est pas aussi tranchée sur le terrain. Beaucoup d’agriculteurs ne sont pas fermés à l’idée de changement si cela marche chez le collègue.

Simon CALLA, Enseignant-chercheur en sociologie à l’Université Marie et Louis Pasteur
La transformation agricole en faveur de l’environnement doit se penser à travers un prisme sociotechnique. On ne peut pas s’attendre à l’adoption de nouvelles techniques sans accorder de l’importance au rapport à soi, aux autres, à son métier et au sens qu’on y prête. Par ailleurs, on fait souvent peser la transformation sur les agriculteurs eux-mêmes : il faut qu’ils fassent ceci, cela… Eux nous expliquent que c’est davantage structurel. Ils auraient besoin d’un ajustement des politiques publiques et de l’enseignement agricole, et n’arrivent pas à percevoir les leviers de changement à leur propre niveau. Actuellement, je travaille sur un dispositif de paiement pour services environnementaux avec des étudiants et des agriculteurs autour de Besançon. Plutôt que de donner aux agriculteurs pour qu’ils changent, on les récompense par une prime au changement. Nous étudions quels intérêts ils y trouvent, ainsi que l’effet du collectif sur le changement de pratiques.