Retour sur les JO
Publié par Journal en direct, le 18 novembre 2024 68
On en a beaucoup parlé et on en parlera encore : qu’on s’en agace ou qu’on soit fan, les Jeux olympiques et paralympiques Paris 2024 auront marqué leur époque et leur territoire. Alors que les travaux scientifiques sur cet événement suivent leur cours dans le monde entier, analyses en avant-première de la part d’un historien et d’une juriste spécialistes du sport au laboratoire C3S de l’université de Franche-Comté…
Une bulle de rêve dans la réalité
Toujours très attendues, les cérémonies d’ouverture et de clôture des Jeux olympiques sont suivies par des millions de personnes à travers le monde.
Grandiose, pour la première fois organisée hors de l’enceinte olympique, la cérémonie d’ouverture de Paris 2024 le 26 juillet a emporté l’adhésion et l’enthousiasme du plus grand nombre, même si elle a aussi suscité les controverses. Sur les réseaux sociaux, elle a été, et de loin, la plus relayée des quatre cérémonies, avec des images et des commentaires tournant pendant cinq jours d’affilée, « un écho très profond », comme a pu le constater Yann Descamps, historien du sport à l’université de Franche-Comté / laboratoire C3S.
L’analyse du chercheur porte sur le sens et l’impact des messages véhiculés lors des cérémonies encadrant ces grands événements sportifs. En 2023, la coupe du monde de rugby montrait en prélude une France blanche et de terroir, incarnée par Jean Dujardin coiffé d’un traditionnel béret noir, dans une ambiance proche de l’imaginaire de l’entre-deux-guerres. Paris 2024 offrait un visage davantage métissé, notamment sous les traits d’Axelle Saint-Cirel chantant la Marseillaise, et se voulait inclusive, la prestation d’Aya Nakamura avec la garde républicaine en étant l’une des plus fortes démonstrations. « Les facettes que montrent ces festivités sont en définitive toutes représentatives de visions idéologiques de la société française. Selon leur propre réalité sociale, les gens se reconnaissent, ou pas, dans ce qui est mis en avant. »
Pays des Lumières, de l’universalisme, où les mots Liberté, égalité, fraternité sont inscrits au fronton des mairies, la France ne pouvait qu’afficher des valeurs progressistes aux yeux du monde lors des Jeux. « Quels que soient leurs convictions et discours habituels, les membres du gouvernement ont plébiscité la cérémonie, sachant qu’elle servait le mythe de la France à l’étranger », souligne Yann Descamps. Instrument parfait pour briller et convaincre, le spectacle a été intimement lié à l’histoire dans une célébration que Thomas Jolly a orchestrée de façon magistrale jusqu’à son terme. « Céline Dion acclamée et Paris transformé en décor ont cristallisé toutes les attentions, au-delà du récit proposé. Mais sans aucunement nier l’émotion qu’elle a véhiculée, la cérémonie d’ouverture Paris 2024 reste une bulle spectaculaire qui montrait une France idéale et détournait de la réalité, le temps d’un rêve. »
Car l’histoire, elle, devrait retenir du moment la vision d’un gouvernement disqualifié, d’un contexte politique chaotique et d’une société fragmentée. Les phryges, transformant en mignonnes mascottes olympiques les bonnets phrygiens des révolutionnaires de 1789, ne seraient-elles pas avant tout autre symbole celui du décalage entre spectacle « aseptisé et mythologisé », et véritable signification historique ?
Le droit à l’épreuve de l’olympisme
45 000 volontaires se sont engagés cet été au service des Jeux. 45 000 bénévoles souvent très au fait des règles relatives à l’organisation des pratiques et des compétitions sportives, et sans qui l’aventure n’aurait pas été possible.
Recrutée comme « équipier équipement sportif » sur les deux sites dédiés au cyclisme pendant la quinzaine olympique, Sandra Seyssel est l’une d’entre eux. Enseignante-chercheuse en droit du sport à l’université de Franche-Comté / laboratoire C3S, elle ajoute cette expérience à celles qui l’ont menée sur d’autres événements sportifs pour nourrir ses recherches.
Après les championnats, coupes du monde et de France en VTT, triathlon ou canoë-kayak, et les différents trails qu’elle a pu étudier, les Jeux olympiques s’ajoutent désormais à son palmarès.
Bénévole plutôt que volontaire
Sandra Seyssel s’intéresse notamment à l’appropriation, par les différents acteurs impliqués, des règles de droit applicables à l’organisation des événements sportifs, et analyse en filigrane le management des bénévoles.
Dans le cadre des Jeux, la chercheuse pointe d’emblée la synonymie opérée entre les termes volontaire et bénévole, le Comité international olympique (CIO) ayant choisi d’utiliser le premier dans sa charte, bien que les éléments de définition qu’il en donne correspondent plutôt au second.
« En droit français, corrige Sandra Seyssel, le volontaire se place entre le salarié et le bénévole, c’est par exemple le cas des pompiers volontaires. C’est un statut encadré juridiquement, qui peut donner lieu à gratification ».
Aux Jeux olympiques, les volontaires sont bien en réalité des bénévoles, et c’est la frontière avec le salariat qui a pu être interrogée sur différents points : plannings de missions détaillés, pointage à l’arrivée et au départ des sites, consignes dont le non-respect est soumis à sanctions.
« Mais parce que ces mesures ont été prises pour des raisons de sécurité, elles ont été plutôt bien vécues par les bénévoles. »
Sandra Seyssel note par ailleurs que pour la première fois dans l’histoire des Jeux modernes, le respect de la parité hommes / femmes a été observé non seulement pour les participants, mais aussi lors du recrutement des volontaires.
Ce mouvement vient en résonance avec une loi de 2022 visant à démocratiser le sport, qui oblige les fédérations sportives à se mettre en conformité sur ce point au niveau de leurs instances dirigeantes.
« Que les acteurs du sport suivent les règles ou les adaptent, l’analyse des grands événements sportifs donne l’opportunité de regarder comment ces acteurs s’approprient le cadre juridique existant, et contribuent parfois à le faire évoluer. »
Et comme pour couronner l’alliance du droit et du sport, il était question que l’héritage de Paris 2024 soit consacré dans un texte de loi : ce souhait avait été émis avant même la tenue des Jeux, mais il reste pour l’instant à l’état de projet.
Article paru dans le Journal en direct n°315.
Photo début d'article : © Luca Dugaro, Unsplash.