Les 24 heures du temps - Petites dimensions et grandes innovations dans l’ Arc jurassien
Publié par Journal en direct, le 10 juin 2024 220
Pour leur 10ème anniversaire, les 24 heures du temps se placent sous le signe de l’innovation. Organisé à Besançon les 22 et 23 juin prochains, l’événement promet des moments ludiques autant qu’instructifs sur la mesure du temps, depuis les chefs d’œuvre mécaniques de l’horlogerie traditionnelle jusqu’aux horloges atomiques époustouflantes d’exactitude du temps-fréquence. Ces domaines sont tous deux inscrits dans l’ADN de l’Arc jurassien franco-suisse, tout comme les microtechniques auxquelles ils sont intimement liés, et qui concernent un large éventail d’applications.
Sébastien Thibaud, responsable de la plateforme MIFHySTO à Besançon et Gaetano Mileti, directeur adjoint du laboratoire Temps-fréquence de l’université de Neuchâtel, interviendront lors de cette édition des 24 heures du temps ; côté recherche, leurs travaux témoignent des avancées majeures de tout un territoire, comme l’illustrent leurs projets les plus récents…
Microballon de foot
À SUPMICROTECH où sont abrités des équipements de la plateforme MIFHySTO 1, les projets font des allers-retours permanents entre recherche, innovation et enseignement. L’un des derniers en date est l’usinage d’un ballon de foot, dont il est peu de dire que ses dimensions sont réduites : avec un diamètre de 4 mm, le ballon 2024 bat le record établi par la première version élaborée à l’occasion de la Coupe du monde 2018, qui représentait déjà un exploit avec ses 6 mm de diamètre. Sur l’un comme sur l’autre, il ne manque aucune des 32 facettes réglementaires, réalisées à l’échelle dans deux teintes de métal pour ajouter à la fidélité de reproduction de l’emblématique ballon rond.
Une carte de visite signée MIFHySTO
Cette réalisation est une démonstration ludique des capacités de la plateforme MIFHySTO, un dispositif unique en France pour la réalisation de composants de dimensions inférieures au millimètre, avec une précision d’exécution de l’ordre du micromètre. Usinage, décolletage, fraisage, moulage, fonctionnalisation de surfaces, impression 3D, métrologie, traitements de surface par voie humide ou voie sèche, toutes ces opérations sont assurées à l’échelle micro à MIFHySTO, assorties des étapes nécessaires de caractérisation et de contrôle. Le travail des chercheurs, ingénieurs et techniciens s’oriente en outre vers des matériaux innovants susceptibles de répondre aux attentes actuelles en matière de protection de la santé et de l’environnement. La plateforme représente le domaine microtechnique à son plus haut niveau de performance, grâce à des équipements et savoir-faire qu’elle rend disponibles pour la recherche, l’enseignement et l’industrie.
L’horlogerie est donc loin d’être le seul domaine d’application des microtechniques. Mais la connexion historique entre les deux est bien sûr toujours d’actualité.
D’où ce sujet proposé par Sébastien Thibaud, traité par cinq de ses élèves ingénieurs du parcours Ingénierie micromécanique (IMM) : « Imaginer un mouvement horloger pour lequel ce sont les ballons de foot miniatures qui donnent l’indication des heures et des minutes ». Un pari remporté avec un design très novateur : un ballon tourne autour de la lunette de la montre pour indiquer les minutes, un autre monté sur une tige au centre indique les heures. Emportés par leur enthousiasme, les étudiants ont réalisé l’habillage de la montre et notamment un cadran en marqueterie, dont l’alternance des essences de bois symbolise les bandes d’un terrain de foot. Ils ont aussi créé son écrin : élaboré en impression 3D, c’est une réplique en résine du stade de Manchester United ! Un système électronique placé au centre permet de l’illuminer pour mettre la montre en vedette… Les projets étudiants fourmillent, toujours adossés à la recherche, et en grande majorité menés en lien avec des industriels, par le biais d’une mini entreprise faisant partie intégrante de la formation IMM. Parmi les plus récents ou en cours : une pendulette de voiture, pour laquelle l’énergie est fournie par les vibrations et accélérations du véhicule, électrique bien sûr ; une microcourroie, copie miniature du design d’une chaîne de vélo et opérationnelle de la même façon ; enfin une étude de ce qui se passe à l’intérieur d’un bouchon en liège serti dans une bouteille de vin, grâce à la capacité d’un micro- nanotomographe de visualiser, en volume, la structure interne de pièces ou de matériaux, sans les dégrader.
« Formés à son contact, les futurs ingénieurs seront à même de relayer auprès de l’industrie les possibilités qu’offre la plateforme MIFHySTO pour des applications à l’échelle du micromètre », souligne Sébastien Thibaud. Il interviendra auprès de nombreux chercheurs à l'occasion des 10 ans des 24 heures du temps, un évènement organisé à Besançon les 22 et 23 juin prochains, et qui proposera des moments ludiques autant qu’instructifs sur la mesure du temps, depuis les chefs d’œuvre mécaniques de l’horlogerie traditionnelle jusqu’aux horloges atomiques époustouflantes d’exactitude du temps-fréquence.
1 Née en 2011, la plateforme MIFHySTO est implantée sur les sites de l’université de Franche-Comté, de SUPMICROTECH et de l’UTBM. L’Institut FEMTO-ST, l’Institut UTINAM et le LERMPS, aujourd’hui intégré au Laboratoire interdisciplinaire Carnot de Bourgogne (ICB), sont à l’origine de sa création.
Horloges de volumes (très) réduits
Un cube d’un cm de côté, c’est facile à se représenter, c’est la taille d’un dé à jouer. Plus difficile à imaginer, cela peut aussi être le volume… d’une horloge atomique ! C’est pourtant bien cette prouesse technologique que les chercheurs du Laboratoire Temps-fréquence (LTF) de l’université de Neuchâtel ont réalisée et dont il sera question lors de l'évènement des 24h du temps.
D’une exactitude sans équivalent dans le domaine de la métrologie, les horloges atomiques assurent la mesure du temps, et se sont pour cela substituées à l’observation ancestrale de la rotation de la Terre : depuis 1967, c’est l’atome de césium qui indique le temps et le coordonne à l’échelle internationale. Partant de cette fonction première, les horloges atomiques sont utiles à deux domaines d’application essentiels : les télécommunications, et le positionnement et la navigation par satellite. Installées au sol ou mises en orbite autour de la planète, elles convoquent dans leurs développements successifs d’autres atomes que le césium et la mise en œuvre de différentes technologies, pour gagner toujours plus en exactitude ou en volume.
Réduire la consommation des horloges, et donc alléger les équipements fournissant l’énergie nécessaire à leur fonctionnement, est une priorité pour le spatial. Utilisant de façon innovante certains procédés de microfabrication, l’horloge miniature mise au point au LTF répond à cette exigence.
De dimensions mille fois inférieures aux plus petites des horloges compactes actuellement hébergées à bord des satellites de navigation de type Galileo, sa puissance est inférieure à un watt, soit dix fois moins que la leur. « Après plus de quinze ans de travaux et un dernier programme, financé par l’Agence spatiale européenne et qui vient de se clore, notre recherche est désormais mature ; elle est prête pour un transfert vers l’industrie », explique Gaetano Mileti. L’horloge miniature du LTF pourrait ainsi être candidate pour équiper des satellites de navigation spécifiquement conçus pour des missions à venir sur la Lune.
« Son exactitude, de l’ordre du dixième de microseconde, qui est dix fois plus exigeante que celle requise pour les télécommunications, serait suffisante pour ce type d’application spatiale », précise Gaetano Mileti.
Les horloges du LTF dans l'espace
Ce ne serait pas une première pour le Temps-fréquence neuchâtelois, dont les travaux ont donné naissance aux deux horloges atomiques équipant les satellites Galileo. Dans ce dernier cas, l’unité de référence est la nanoseconde, une stabilité cent fois supérieure.
C’est à cette échelle infime que s’inscrit un projet mené avec l’université de Strathclyde à Glasgow, en Écosse, qui pourrait fournir de nouvelles options pour le système de navigation européen.
La technologie développée ici est celle des atomes refroidis par laser, qui confère des performances exceptionnelles à une horloge en termes de stabilité. Lorsque les atomes évoluent dans une cellule chauffée, leur vitesse est rapide et les collisions sont fréquentes. Leur refroidissement permet de ralentir leur course et les effets de leur environnement, pour une résonance atomique plus propre, plus stable, et donc une horloge plus exacte.
Le refroidissement est traditionnellement assuré par l’action de plusieurs lasers. Les chercheurs de Glasgow sont aujourd’hui les premiers à n’utiliser qu’un seul laser pour s’approcher du zéro absolu (- 273,15° C), cette limite physique à laquelle l’agitation thermique des atomes est réduite au minimum. « L’association des technologies respectivement maîtrisées par nos équipes donne la possibilité de construire une horloge à atomes froids très compacte, dont les performances sont comparables à celles des grandes. »
Un premier démonstrateur en a apporté la preuve de concept ; un prototype intégrant tous les composants de l’horloge devrait marquer une nouvelle étape de ce projet financé, lui aussi, par l’Agence spatiale européenne.
Image début : Photo de Yoan Jeudy lors des 24h du temps en 2023.