Dormir, une activité trop sou­vent mise en sommeil

Publié par Journal en direct, le 18 janvier 2024   220

Du petit dernier qui ne fait pas ses nuits à l’ado qui s’endort trop tard, de la perte de performance liée aux décalages horaires aux problèmes de santé dus à des nuits trop courtes, le sommeil et son corollaire, la vigilance, sont des mots-clés de notre époque. Ils font l’objet de liens étroits entre soins cliniques et recherches académiques à Besançon.

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D’origines très diverses, décalages horaires, épisodes de dépression, problèmes d’addictions, stress, changements d’environnement, génétique…, les troubles du sommeil empoisonnent les nuits et les jours de ceux qui en souffrent ; aux insomnies, angoisses ou apnées survenant la nuit succèdent le jour venu baisses de la concentration intellectuelle, de la performance sportive ou fatigue chronique. Ce sont là quelques éléments des multiples scénarios qui peuvent s’écrire sur le sujet à tous les âges de la vie, et qui sont étudiés et traités à l’unité Explorations du sommeil et de la vigilance du CHU de Besançon – Pôle des liaisons médico socio-psychologiques (PLMSP – Pr Haffen). Quelque deux mille patients y sont reçus en consultation ou pour des examens chaque année.

Médecin spécialiste du sommeil, Hubert Bourdin est responsable de l’unité au PLMSP et mène des recherches dans son domaine de prédilection en parallèle à ses activités cliniques. Il est depuis peu rejoint dans ce cheminement par le neurologue Silvio Galli. Tous deux sont praticiens hospitaliers et chercheurs au Laboratoire de recherches intégratives en neurosciences et psychologie cognitive (LINC) à l’université de Franche-Comté.

 

Aurait-on perdu le sommeil ?

« Le sommeil est une problématique transversale qui impacte tout le monde et concerne de nombreux champs de la santé. Pour la recherche, l’unité Explorations du sommeil et de la vigilance du CHU dispose d’équipements d’une grande technicité, mis au service de collaborations avec différentes disciplines scientifiques, pneumologie, cardiologie, neurosciences, activités physiques adaptées…, ainsi qu’avec le monde socio-économique. » Là aussi, les partenariats sont multiples, motivés par des attentes très diverses.

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Avec des statistiques imputant à la somnolence la responsabilité d’un tiers des accidents mortels sur autoroute, les constructeurs automobiles sont demandeurs d’analyses sur le sommeil pour concevoir des dispositifs de détection de baisse de vigilance embarqués : ce sont par exemple des caméras braquées sur les pupilles du conducteur pour guetter tout changement de leur diamètre, ou des capteurs fixés à ses lunettes pour suivre les mouvements de sa tête, déclenchant un signal sonore en réponse à tout diagnostic de somnolence. Les fabricants de literie, eux, veulent apporter une caution scientifique à leurs innovations, lorsqu’ils mettent sur le marché des oreillers ou matelas promettant un meilleur sommeil. Les fédérations sportives, quant à elles, ont besoin de réponses pour leurs athlètes victimes du jet lag lors de déplacements en avion, et dont le sommeil perturbé par les décalages horaires est susceptible d’influer négativement sur les performances en compétition. « Les gens sont demandeurs d’informations sur leur sommeil, sur sa structure et sa qualité. Les montres connectées offrent à ce titre des informations très prisées. Si elles présentent des limites, elles ont pour premier avantage de faire prendre conscience de la durée du sommeil, dont on a parfois un faux ressenti, croyant par exemple à tort être victime de longues insomnies. »

Et si le sommeil intéresse autant, serait-ce parce qu’on en manque ? En quelques générations, chacune de nos nuits s’est vue amputée d’une heure et demie de sommeil en moyenne. Un pas franchi trop rapidement, même s’il se mesure à l’échelle d’un siècle, une différence énorme qui fait craindre aux scientifiques qu’elle soit « une bombe à retardement pour demain ». « L’organisme ne peut s’adapter à un bouleversement physiologique aussi important en si peu de temps. Et on sait que le dérèglement du cycle circadien, cette horloge interne que nous avons intégrée depuis très longtemps, impacté par la perturbation ou la privation de sommeil, a des impacts néfastes sur la santé, favorisant les cancers, les maladies cardio-vasculaires, les AVC, l’obésité, le diabète… », prévient Hubert Bourdin. Au banc des accusés, la lumière figure en première place.

Mettre la lumière en veilleuse

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À la fin du XIXe siècle, la fée électricité s’est penchée sur nos maisons, offrant la lumière en continu à moindre coût. Remisant la bougie au placard, l’ampoule électrique est entrée dans les foyers, bouleversant des habitudes contraintes par l’alternance du jour et de la nuit. C’est le point de départ d’un phénomène qui s’est depuis amplifié, et qui est responsable non seulement de l’allongement de la durée de veille, mais aussi d’une exposition à des sources lumineuses délétères pour le rythme circadien et pour le sommeil. Lampes en tout genre dans les maisons, plafonniers de bureaux, néons de magasins, enseignes et publicités lumineuses, phares de voiture, écrans de nos smartphones, ordinateurs, télévisions, consoles de jeux, salles de cinéma… la lumière artificielle accompagne notre quotidien, au point que dans les grandes métropoles, la nuit est devenue aussi claire que le jour. Un non-sens pour notre horloge interne.

Les études ont démontré que la lueur d’une bougie placée à un mètre d’une personne endormie suffit à perturber son sommeil. En comparaison, la lumière émise par l’écran d’un smartphone que l’on consulte avant de s’endormir équivaut à celle d’un soleil miniature ! De quoi retarder dans notre cerveau la production de mélatonine nécessaire à l’endormissement et à la qualité du sommeil. « Des moyens techniques sont recherchés pour limiter les effets néfastes de la lumière artificielle, de la lumière bleue surtout. C’est la plus utilisée car elle met bien en valeur les contrastes, mais c’est aussi la plus perturbatrice », explique Silvio Galli. Les jeux vidéo sont à ce titre dans le collimateur des chercheurs. « Les études se concentrent plutôt sur les adolescents, alors que l’âge moyen des joueurs est de trente ans. Le manque de sommeil, l’excitation du jeu et les effets de la lumière représentent une combinaison de facteurs intéressante à mesurer dans cette population de joueurs. » C’est l’une des pistes que les chercheurs souhaitent explorer, avec pour support les moyens techniques de leur unité.

Agrément et labellisation de haut vol

L’unité Explorations du sommeil et de la vigilance du CHU de Besançon a obtenu l’agrément de la Société française de recherche et médecine du sommeil (SFRMS), témoignant de la qualité de ses activités sur le plan clinique. Un label accordé en juin 2023, pour une durée de quatre ans, renouvelable. C’est une reconnaissance de ses bonnes pratiques, en même temps que de sa spécificité, qui est d’assurer des suivis en pédiatrie ; l’unité bisontine est la deuxième structure mixte, accueillant de la même façon les adultes et les enfants, à recevoir l’agrément de la SFRMS en France.

Dirigé par le professeur Emmanuel Haffen, le laboratoire LINC est label­lisé par l’Inserm depuis le 1er janvier 2024, une reconnaissance au plus haut niveau puisqu’elle est accordée par l’organisme scientifique public de référence pour la recherche en santé en France. C’est une montée en puissance pour le laboratoire, désormais placé sous la double tutelle de l’université de Franche-Comté et de l’Inserm. Ses travaux s’orientent notamment vers la santé mentale, un domaine aux multiples facettes et enjeux, figurant aujourd’hui dans les priorités de la recherche publique.