La coopération dans le secteur du bâtiment ? Je t’aime, moi non plus…

Publié par Journal en direct, le 4 avril 2023   320

Photo Emre Ucarer - Shutterstock

Représentant 10 % du PIB en France, le secteur du bâtiment concerne une foule d’acteurs : architectes, conducteurs de travaux, ouvriers, chefs d’entreprise, manutentionnaires, élus, économistes, experts en tous genres, chacun porte son regard propre sur le chantier à exécuter, sur la résidence, l’immeuble ou l’hôpital à construire ou rénover. Une chaîne complexe générant des rapports qui le sont tout autant, au point de provoquer des conflits, de porter préjudice au bon déroulement des opérations ou de retentir négativement sur les budgets. Dans les recherches en sciences de gestion qu’il mène au CREGO, Thibault Ruat s’interroge sur les raisons des dysfonctionnements qui minent le secteur du bâtiment, en vue d’élaborer les stratégies de coopération qui pourraient remédier à cette situation.

Reconnecter les formations en architecture avec le terrain

Photo Igor Ovsyannykov - Pixabay

« Ma quête a commencé au cours de ma thèse auprès des architectes, dont j’ai contacté une centaine de cabinets dans toute la France ; elle s’élargit aujourd’hui aux autres parties prenantes, comme les entreprises, les bureaux d’études et les collectivités », explique l’enseignant-chercheur au CREGO / IUT Besançon-Vesoul, université de Franche-Comté. L’architecte est la porte d’entrée de tout projet de construction d’envergure, il en est même le passage obligé, en vertu de la loi qui l’ordonne et de la caution de l’Ordre qui régit la profession et lui confère sa légitimité. « Or l’architecte est avant tout un créateur, sa conception d’un bâtiment repose sur une dimension artistique et esthétique qui souvent se heurte aux réalités auxquelles les autres acteurs sont confrontés. »

Thibault Ruat souligne le déficit en enseignements techniques, économiques et en management que présente la formation. « C’est là qu’en priorité il faudrait agir ; la formation d’un architecte demande à être plus en phase avec les attendus de terrain, comme elle l’était par le passé. » Une condition pour mieux se comprendre, éviter les tensions et les conséquences parfois dramatiques sur la gestion des chantiers. Tout le monde connaît des histoires de trottoirs neufs cassés pour intégrer des gaines ou des tuyaux auxquels on n’avait pas pensé, ou de rampes d’accès handicapés refaites trois fois parce qu’elles ne correspondaient toujours pas aux normes... Réduire le décalage entre la conception et la réalisation peut seul garantir une vision à long terme du projet, ainsi qu’une nécessaire coopération entre les différents intervenants et corps de métier : des enjeux cruciaux pour la qualité d’exécution des travaux et le respect des budgets prévus.

Erreurs coûteuses

« Le chiffrage cumulé de tous les dysfonctionnements représente en moyenne 30 % de pertes financières. Cela signifie que lorsqu’on construit dix hôpitaux, on en détruit trois ! », déplore Thibault Ruat. Si pour le chercheur « il n’y a pas de fatalité », il n’en reste pas moins que les solutions peinent à voir le jour. Le problème de la compétence métier est également récurrent, avec des difficultés à former et recruter des jeunes à l’intérieur de l’Hexagone, dans un contexte persistant de dévalorisation des métiers manuels et d’hyperspécialisation de l’enseignement, responsable, sur le terrain, d’un manque d’autonomie et d’implication de la part des ouvriers.

« Les fonctionnements sont calqués sur des modèles inspirés du taylorisme, qui datent de plus d’un siècle et ne sont plus adaptés. C’est tout un secteur qui est en souffrance. On dresse des constats négatifs, mais malgré quelques initiatives, on ne met aucun plan en œuvre pour les améliorer. » Thibault Ruat préconise de repenser une activité qui, actuellement, convoque des compétences morcelées entre une myriade de petites structures, au profit d’une organisation concertée, évoluant par projets. Quel est pour lui le symbole le plus évocateur d’un défaut de véritable stratégie pour le secteur, qu’il s’agisse de la formation des architectes ou de l’acquisition des compétences métier, du management des hommes ou de la coopération entre les acteurs concernés ? L’absence, en France, d’un ministère du bâtiment !